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Voilà plus de 60 années au-dessus de
Sées
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Ce dimanche 4 juillet 1943, le ciel est
merveilleusement limpide sur la Normandie, quelques nuages disséminés dans
le ciel bleu. A Sées, au stade des Ormeaux,
près de la voie de chemin de fer une compétition sportive deux clochers émergent au-dessus des
toits ( Gordon Erickson).
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Deux clochers émergent
au-dessus des toits ( Gordon Erickson)
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A 11 heures 30 lourd
grondement dans le ciel une formation de bombardiers se dirige cap au sud ou
va-t-elle ? Les spectateurs présents, visages anxieux, regardent passer ces
lourds avions que rien ne semble vouloir arrêter. Quelques flocons blanchâtres
annoncent la présence d'une DCA allemande lointaine. Le match reprend
une demi-heure plus tard la même formation sans aucun doute, remonte vers le
nord. S'agit-il d'une formation américaine qui vient de bombarder les
installations industrielles du Mans ?
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Les évènements se
précipitent, un bombardier, longue trainée noire dans son sillage perd
rapidement de l'altitude. A bord dix hommes d'équipage le pilote Gordon
Erickson, le copilote Clifford Dartt, le navigateur Francis Hackley, le
bombardier Donald Irvin, les sergents techniciens Penly ,Wingerter,
Ashworth, Freeman, Mankowitz et Welch.
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Le pilote donne l'ordre de
sauter, mais cette nature mystérieuse qui s'étend à perte de vue, ils en
ignorent les piéges et les dangers dans un territoire occupé, et contrôlé par un
ennemi implacable et vigilant. En dessous d'eux Belfonds, Saint Clair, la
Perriere, un paysage rural à l'habitat dispersé au milieu de prairies, de
collines, de clôtures et d'épaisses haies. Les spectateurs, regards
rivés vers le ciel regardent avec effroi l 'avion en perdition, il
traîne derrière lui un long sillage de fumée noire, frôle les cimes des arbres
de la forêt d'Ecouves et s'abat au milieu du hameau de la Philippiere, commune
de Belfonds.
Les débris de l'appareil en flammes embrasent ce
coin de forêt sur le territoire des communes de la Ferriere bechet ainsi que
dans le bois de Fontaineriant commune de Sées. L'incendie s'étend alors
sur plusieurs hectares entre la RN 808 et le Bouillon malgré
l'intervention rapide des pompiers de Sees et des civils requis d'urgence
par l'administration. Huit parachutes se détachent dans un ciel
clair légérement brumeux. Je laisse la parole aux membres de l'équipage, me
référant aux documents obtenus aux archives de Maxwell (Alabama).
Le commandant Gordon Erickson
pilotant la forteresse " Nymokimi " dans son rapport
d'évasion rédigé lors de son retour en décembre 1943 aux Etats Unis nous
fait part de son odyssée. " Après une traversée tranquille de la
Manche où la flak côtière nous a pleinement ignoré, escortés par une
cinquantaine de chasseurs US nous partons confiants à la découverte de
l'objectif en l'occurrence les usines du Mans, pour le moment les
chasseurs de combat de la Luftwaffe invisibles nous laissent la voie libre ce
n'est plus la grisaille de l'Est Anglia mais un plein soleil qui nous ravit.
Soudain en vue de l'objectif une flak très lourde se déchaîne,
plusieurs chasseurs allemands apparaissent dans le lointain le moteur no 4 ne
résiste pas mais impossible de le mettre en drapeau, nous lâchons nos bombes.
L'objectif est atteint sur le
chemin du retour, nous suivons avec peine la formation à la traîne nous arrivons
en vue d'une petite ville où 2 clochers émergent au-dessus des toits (
Gordon Erickson découvrira qu'il s'agit de la petite ville de Sées ).
Plusieurs chasseurs ennemis à croix noires nous prennent alors pour
cible, pas d'attaques directes frontales mais des attaques incessantes venant de
droite et de gauche.
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Gordon Erickson le pilote de Nymokimi
(1) nous apporte un complément de témoignage. A l'angoisse
engendrée par l'attaque s'ajoute l'épreuve de la fumée suffocante montant du
plancher dégagée par le moteur, à bord la panique s'installe, je
trébuche dans la fumée en aveugle dans le bombardier qui vacille. Les circuits
d'oxygène perforés je donne l'ordre de sauter. Ma combinaison est
en feu et je me brûle les mains à vouloir l'éteindre. En dessous de moi 5
parachutes. j'atterris indemne et reste accroché à la branche d'un arbre, un
pied touchant à peine le sol dans cette position je ne puis faire autre chose
que de jurer et de crier pour attirer l'attention.
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Huit ou neuf français
foncent sur moi pour me libérer de cette fâcheuse position ( il s'agissait
d'habitants de Belfonds ou des environs ). Cachés dans les haies du bocage
( lieu dit Hausse pied ) on nous apporte vêtements, nourriture
et médicaments pour les brûlures. Je sais que deux autres hommes d'équipage
tombés dans une cour de ferme sont pris en main par les habitants ( Mankovitz
et Freeman ). A terre des armes nous sont fournies par les résistants et
un premier réconfort nous est offert dans la grange du maire de Mortrée
".
Le sergent Penly " j'étais posté prés de
l'issue de secours et je bloquais pratiquement la porte. Le lieutenant
Hackley était juste derrière moi ; Mes vêtements étaient en feu mais les
tourbillons de l'air éteignirent rapidement les flammes. J'ai
atterri.
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Seules photos de
l'épave ( prise par Roger Cornevin le dimanche 5 juillet 1943 à 10
heures.
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A quelques miles des autres
membres de l'équipage et suis tombé lourdement sur le dos. Un jeune garçon
m'aida en me conduisant vers une grange ou je suis resté jusqu'à la tombée de la
nuit. "
Le sergent Wingerter " j'ai vu le
mitrailleur de queue Mankowitz, inquiet, assis les jambes pendantes,
paralysé par le vide je l'ai forcé à sauter en le poussant avant de me décider
moi-même à quitter l'avion. J'ai atterri dans une cour de ferme.
Là quatre ou cinq français s'emparèrent de mon parachute et me dirigèrent
vers une grange. Je leur donnais tous mes vêtements et ils me conduisirent vers
une rangée de haies ".
Le sergent Freeman mitrailleur, perdit une botte
de vol lors de son saut précipité et se foula la cheville " A l'atterrissage
après quelques heures, nous avons été conduit vers le domicile du maire du
village. Ce dernier revint avec deux hommes dont l'un se nommait Dominique
et m'assura que tout serait fait pour nous cacher et nous faire évader
".
Le sergent Mankovitz, un éclat
dans la cuisse, " j'étais caché dans une meule de foin quand un docteur
entreprit de me soigner. Il semblait affolé-je fus ensuite transporté sous un
pommier "
Lundi 5 juillet 10 heures
Suivant les berges de la rivière, nous
sommes frappés par la solitude des lieux c'est le Val d'enfer, très mal nommé en
raison de la solitude tranquille qui caractérise ce coin de campagne. C'est
notre lieu de pêche, c'est là, chaque dimanche que nous venons régulièrement
taquiner la truite. Inquiétant ; Pas de sentinelle ! Je sors le gros kodak
familial, seuls le bruit du courant et le bruissement des feuillages des saules
pleureurs. Un drap blanc auquel est accroché un bouquet de violettes recouvre la
victime, est ce un témoignage des habitants du village ? Parmi les branchages
retenus par les cailloux du ruisseau une masse informe détourne le courant,
on devine un moteur d'avion à demi carbonisé.
Nous apprendrons après avoir pris connaissance
d'un rapport de gendarmerie qu'il s'agit de Francis Hackley navigateur
originaire de la banlieue newyorkaise. Consultant internet la famille peu
informée distinguera le nom de Hackley gravé sur le monument érigé au Val
d'Enfer à proximité du lieu de sa chute et me demandera les circonstances de son
décès ; Triste révélation.
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Francis Hackley le
navigateur de " Nymokimi "
Un jeune berger témoin du drame, m'assura
n'avoir jamais oublié la vision de cet aviateur tombant du ciel, parachute en
flammes effrayé-il se sauva, perdant un sabot en traversant la rivière, avant de
se réfugier bouleversé chez son patron. Aujourd'hui encore il n'a pu effacer de
ses souvenirs, la vision de ce drame et c'est avec émotion qu'il rapporte les
détails de son témoignage.
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Nous continuons notre
chemin, une autre victime happée par l'hélice ( ref au rapport de
Maxwell ) au moment d'un saut à basse altitude " au chêne d'amour " gît au
milieu des débris d'une aile de l'avion et les restants d'une tourelle de
mitrailleuse.
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Ce lieu dit c'est le Petit
Pont Besnard, commune de la Ferriere Bechet en bordure de la forêt
d'Ecouves à 25 mètres de la RN 108 et à 3 km du point de chute de l'avion ;
c'est le bombardier Donald Irvine.
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(
Les papiers d'identité du premier cadavre ainsi que la plaque d'identité du
second seront alors ramassés par des officiers allemands de la kommandanture
d'Alençon. Les noms de Hackley et de Irvine seront gravés sur le monument érigé
à la mémoire des victimes de la résistance lors de la commémoration de
l'événement en 1999
).
J'ai passé
deux années au camp de Sagan où une centaine de prisonniers ont été fusillés sur
ordre du fuhrer après avoir creusé un tunnel et tenté une évasion. Lors
de son évasion nocturne de deux journées et demi il nous
dit avoir entendu un poste émetteur installé par les Allemands à
proximité du Roussillon.
Découvert par un
membre du personnel des carrières de Fontaineriant promenant son chien, Welch
est étendu prés d'un buisson et incapable de se déplacer, connaitra la
rigueur d'un camp d'internement jusq'en 1945.
Nos quatre rescapés Erickson, Penly, Wingerter,
Ashworth hébergés et cachés par le maire Victor Chevreuil sont pris en charge
par un résistant parisien nommé Barbier.
" Après 3 semaines passées dans une grange
au lieu dit l'Englisherie nous sommes guidés par la résistance locale et dirigés
après multiples péripéties vers la frontière espagnole. Contrôle à Dax,
l'aspect de nos chaussures n'inspire pas un agent de la gestapo, mais le guide
Barbier nous sauvera de cette situation difficile en prenant la parole. Enfin la
frontière est en vue, les Pyrénées déjà couvertes de neige et, au loin les
lumières de la ville d' Irun. Nous sommes en Espagne ".
En désespoir de cause, portés sur des brancards
on dirige les deux blessés Mankovick et Freeman vers les frondaisons d'un bois
de la forêt de Gouffern à dix kilomètres au nord de Sées, ils seront traités et
soignés par deux docteurs d'Argentan, 47 jours de pluies et soleil sous les
ombrages d'une cabane confectionnée hâtivement par la résistance
locale.
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Les fuyards rongent leur
frein. Las de s'impatienter, ils seront pris en charge par un guide et
parviendront à tromper au prix d'une poursuite effrénée dans un chemin de
campagne les membres de la Gestapo lancés à leurs
trousse.
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Ci-dessus Cabane
confectionnée par deux résistants d'Argentan en forêt de
Gouffern.
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Conduits par un résistant
d'Alençon accompagnés d'une jeune femme et d'un bébé ils s'enlisent dans un
sentier boueux de la forêt où ils ont trouvé refuge. A leur grande
joie un groupe d'allemands parvient à les extraire de leur fâcheuse
position, ensuite nuit à la belle étoile dans la fraicheur de la forêt
mancelle.
A partir de Lyon leur odyssée française
devient des lors tortueuse, prise en charge par le réseau VIC, hébergement
clandestin en divers points, menace des patrouilles allemandes lancées à leurs
trousses et enfin la frontière. Le transport dans un camion de
poussins les conduira au consulat à Barcelone avant de découvrir le rocher de
Gibraltar leur destination finale avant leur envol vers l'Angleterre.
La chance aidant, les fuyards du petit bois de la forêt de
Gouffern annonceront triomphalement sur les ondes de la BBC, message bien
sûr destiné à leurs vaillants sauveteurs " les amis du petit bois sont bien
arrivés ".
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Chasseur allemand abattu ce jour par l'une
des forteresses (g à d Roger et Jean
Cornevin).
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Nos six évadés ont donc
non seulement enduré les contraintes du combat aérien et les terribles émotions
qui en résultent mais encore réussi à éviter la capture par l'ennemi en déjouant
la traque dont ils étaient l'objet tout au long de leur dangereux
itinéraire. Un autre témoignage communiqué très tardivement en 2001 par Stan
Munday autre pilote volant en équipier avec Gordon Erickson. " Il faisait
beau sur la France et nous volions environ à 10000 mètres. Il me semblait
là où nous étions, distinguer dans le lointain la tour Eiffel ( ou tout au
moins quelque chose qui lui ressemblait ). A la vue de l'accident de Gordon je
venais de réaliser que je venais de perdre l'un de mes meilleurs amis le
commandant Gordon Erickson suédois d'origine et je restais très affecté par
l'explosion de son avion. N'ayant vu aucun parachute je ne me faisais
aucune illusion sur son sort. De retour aux Etats Unis, désigné pour un cours
d'instructeur à Columbia (Ohio) que vois-je confortablement assoupi dans
un fauteuil ? Gordon Erickson ! II me rapporta avoir été projeté hors de son
avion lors d'une attaque d'un chasseur allemand et se retrouva au bout de son
parachute grand ouvert, sans se souvenir s'il avait ou non déclenché son
ouverture. Couvert de brûlures le maquis le récupéra, lui apporta les
premiers soins. Après 3 semaines il fut dirigé vers la frontière espagnole(
Pyrénées atlantiques ) "
Ils seront de tous bords, ces fuyards traqués
par la mainmise allemande sur l'Europe, juifs de tous âges, patriotes soucieux
de rejoindre l'Angleterre, opposants aux nazis, militaires évadés, aviateurs en
fuite. Confessons le en toute humilité, cet article n'est qu'un
pale condensé des sommes d'ingéniosité, d'angoisses, de privations déployées par
les intéressés qu'ils soient aviateurs ou résistants. Sommes de
satisfaction aussi celle d'avoir réussi à déjouer tous les pièges de l'ennemi.
J'ai pu prendre clandestinement six photos de l'épave de la forteresse
volante le dimanche matin 5 juillet vers dix heures, la sentinelle était
absente. Nous avions pris avec mon frère notre attirail de pêche pour ne pas
éveiller les soupçons. En fait je n'ai fait que résumer sommairement les
péripéties relatives à ce crash qui a marqué d'une manière indélébile le
passé de notre petite ville.
Après
avoir obtenu les dossiers relatifs aux
crashs de ce jour de " l'indépendance day " pour Belfonds et la Coulonche,
auprès des archives de Maxwell ( Alabama ) je pense avoir
recueilli un maximum d'informations, maintenant disponibles aux archives
départementales d'Alençon.
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Photo commémoration Belfonds photos
album.
1) Nymokimi Quatre
membres de l'équipage avaient baptisé l'avion en tenant compte de leur lieu
d'origine soit NY pour New Yor, MO pour Missouri, KI pour
kentucki.
Roger Cornevin-Hayton.
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